Billevesées d'un inadapté
- MB
- 9 avr. 2015
- 5 min de lecture

Qu'est-ce qu'un inadapté ?
C'est, en premier lieu, un individu qui éprouve beaucoup de difficultés à se fondre, se confondre dans les systèmes collectifs. Son attitude ne correspond pas aux stéréotypes les plus efficacement synchronisés, aux cadres et contextes généralisés, constamment réactualisés d'un point de vue technologique.
L'inadapté est régulièrement en retard d'un wagon, d'une époque. Cela me fait penser à la chanson de BRASSENS : « Je suis né même pas bâtard, avec cinq siècles de retard, pardonnez-moi princes, si je suis foutrement moyenâgeux... ». Nous pouvons concevoir ce cris de désespoir comme celui d'un inadapté, et sacrément, puisque moyenâgeux.
Cela traduit aussi l'impression de s'être trompé d'époque, si par hasard nous avions le choix.
L'inadapté est aussi celui qui, avant d'obtempérer, se pose la question : « mais pourquoi ? ».
Oui, pourquoi nous invite-t-on à ces choix, ces orientations, ces manières de faire et de consommer. Est-ce vraiment justifié ? Est-ce vraiment le meilleur choix ? Ou encore plus simplement, est-ce vrai ?
Alors, bien sûr, ces questions produisent un décalage vis à vis de l'attitude généralement admise comme conforme. Conforme aux normes modernes sur les sujets évoqués plus haut.
L'inadapté n'est pas suffisamment réactif. S'il est spontané dans ses sentiments, il est plus confus dans son organisation et dans les solutions qui requièrent du pragmatisme.
Contrairement à ce que l'on suppose souvent, il sait être aussi intuitif. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles, que, face au goût du jour, ou au prêt à penser, il est capable de voir plus loin et d'anticiper l’événement perçu d'abord comme improbable.
L'inadapté est curieux de l'improbable. Ce domaine étrange, dévore beaucoup de son temps, mais il y puise aussi des sources de créativité.
Ceci dit, l'inadapté, peut, à force de retard et de décalage, devenir morose, mélancolique, ou franchement malheureux se voyant affublé d'étiquettes, souvent nocives.
« On ne peut pas lui faire confiance, il est trop imprévisible, que va-t-il encore imaginer ? ... etc... ».
De quelle billevesée est-il encore capable ? Il n'a pas de limites... avec lui ce n'est pas acquis, il n'y a pas de certitudes...
L'inadapté, c'est aussi une représentation du syndrome du vilain petit canard. Ce vilain petit canard est inadapté aux exigences, tout d'abord, de la basse-cour et puis de celles de la fermière, en compagnie de la poule ou du chat, et ainsi de suite, tous voulant le faire adhérer à leur propre vision du monde. Le vilain petit canard en perd son âme immobilisée par la glace de l'étang dans la tourmente de l'hiver. C'est seulement en la présence de ses frères, qu'il retrouve son identité. Il est un cygne. Il a constaté qu'il l'était en se mirant à la surface de l'étang ou il s'est posé.
C'est par suffisamment de narcissisme que l'inadapté va pouvoir assumer sa différence.
Mais là aussi, le voilà affublé d'une nouvelle étiquette : " C'est un narcissique !"
Mais revenons au syndrome du vilain petit canard. En tant que syndrome, ce vilain petit canard est identifiable théoriquement en chacun de nous. Nous sommes d'ailleurs, par définition, tous différents les uns des autres, sauf que la plupart se réfugie dans les certitudes de la conscience collective. Rien de tel pour se prémunir de la peur, de l'angoisse, l'angoisse de l'abandon, entre autre.
Alors d'où me vient cette inadaptation manifeste via les réactions au quotidien que j'ai confié à mon cahier de bord ?
Je vais tenter d'illustrer son origine en narrant deux souvenirs de mon enfance pour le premier, de mon adolescence ensuite.
Nous sommes à la fin du mois de juin 1962. J'aurai 14 ans à la fin de l'année. Je viens de subir les épreuves du certificat d'études primaires et le concours d'entrée pour un collège technologique en comptabilité. Mon maître d'école, un certain Mr LANGELET convoque ma mère. J'entends encore son discours : «Madame BREVIGLIERI, comme vous pouvez vous en douter, votre fils Marc a certainement échoué à ses deux examens. Ses capacités sont très faibles, il ne faut pas se faire d'illusions, alors par amitié pour votre sœur, institutrice dans notre école, je vous propose de garder votre fils dans ma classe, jusqu'à ses 14 ans. Puis à ce moment, je me chargerai de lui trouver une place de manœuvre aux usines de Renault. J'y ai une connaissance qui pourra vous aider. »
Ma mère, devenue toute rouge, au bord des larmes, opinait de la tête et se confondait en remerciements. Toute penaude, elle remerciait encore et encore puis prenait congé de l'instituteur en s'excusant. Ma mère me prit la main, soupira fortement, blessée, ne put retenir davantage ses larmes. Qu'elle était malheureuse ! Je la regardais avec étonnement. Mais pourquoi est-elle aussi désespérée ? J'assistais à un spectacle, comme détaché, non concerné, appréciant à sa juste valeur les acteurs valeureux de cette scène épique gravée dans ma mémoire.
Mais bien sûr, j'ai réussi à mes examens, il n'y a aucun doute la dessus. J'en étais absolument sûr d’où mon étonnement à la voir si malheureuse ! Les propos de mon maître d'école, en aucune façon ne m'avaient
surpris, j'en avais tant entendu auparavant de ces prédictions catastrophiques. Il me vouait, mais aussi à l'intention de beaucoup d'autres de mes camarades, au pire des destins, prédictions d'échecs les plus terribles. En vrai cancre, je n'avais cure de ses délires ; j'attendais la récréation pour démontrer mes capacités hors normes de joueur de billes.
De fait, j'ai bien eu mon certificat d'études primaires et mon entrée en 4 ème technologique de comptabilité, mais sans en éprouver la moindre satisfaction. Ces résultats étaient naturels, c'est l'attitude des adultes qui ne l'était pas.
Nous sommes en février 1968. Je poursuis des études en comptabilité. Enfin je ne savais pas qui poursuivait qui. Bref ce matin là, j'attends avec un grand plaisir, il n'y a que cela qui m’intéressait, le cour de philosophie. Notre professeur, était un vieux bonhomme un peu bougon, taciturne, probablement lassé par l'indifférence de ses étudiants occupés à atteindre d'autres objectifs que celui d'être instruit de philosophie. Ce qui n'était pas mon cas.
Le vieux est penché sur ses dossiers. Puis il se redresse, ajuste ses lunettes et là exprime un grand étonnement et s'exclame : « Mais qu'est-ce que s'est que ce foutoir ! Nous sommes en cour de philosophie bon sang ! Alors les garçons regroupez-vous à droite, la philosophie ne concerne que les hommes, vous les filles regroupez-vous à gauche et vous pouvez continuer votre maquillage, la philosophie ne vous concerne pas ! « Armé de sa règle en fer : « Allez, exécution, mais enfin c'est incroyable ! » Mes petits camarades obéissent, les gars se lèvent, se regroupent, les filles ramassent leurs affaires et s'installent de l'autre côté. Je demeure sidéré par ce spectacle : comment se fait-il que tout le monde obéisse à un ordre absurde ? J'interpelle mes amis : « mais que faites-vous ? Le vieux débloque ! Restez à votre place ! « Rien n'y fit, tous obéissaient. Je restais, le seul, au milieu, médusé. Alors je pris mes affaires et rejoignais le groupe des filles à la stupéfaction générale : Je n'ai que faire de ce genre de philosophie. Le vieux toussote, se redresse, observe la classe et me désigne : « Que faites-vous ? » Je rétorque : « Je me maquille ! ». Il esquisse à peine, à peine un sourire : « Combien êtes-vous dans cette classe ? » « 40 Monsieur ! » »ça fait un individu sur 40, c'est pas rassurant ! ».
Inadapté quoi, mais vraiment cancre et désobéissant, la totale, cause perdue...
Cela explique selon moi, ces billevesées, malgré la lointaine préhistoire de ma jeunesse, mon inadaptation est parfaitement avérée.
Cela me pèse- t-il ? Parfois oui, je me sens parfois perdu, tels ces rêves que j'expose dans les textes qui suivent.
Alors je prends ma plume, ou je prends une toile et je me passe un disque. MOZART, la plupart du temps.
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