Le chef d’œuvre et le pot de peinture
- ramoncelli
- 31 oct. 2015
- 3 min de lecture
Les yeux de ma fille sont d'un noir étincelant. Ils parlent de son âme. Vive, libre, inquiète, légère, joyeuse et parfois angoissée. Ses yeux sont lumineux d'une intensité violente. Je peux comprendre qu'on les évite.
Ma fille a 25 ans. Elle est très belle mais peut se grimer en pauvre fille, elle est souvent enrhumée et est aussi éclatante de santé. Lorsqu’il lui arrive un pépin de santé, c'est que son âme a bien des choses à dire, ce qu'elle ne sait pas trop entendre. Elle déteste réussir, mais la main de l'ange l'y pousse.
Il y a plus de 20 ans de cela, je me rendais Gare Montparnasse, la journée au bureau achevée. Je découvrais non loin de la gare, une petite et sympathique boutique. Joliment décorée, il y avait 3 marches pour y pénétrer. Une femme au sourire très doux, aux yeux verts, avec beaucoup d'amabilité, recevait les curieux et futurs clients, leur présentait de jolies robes, modèles uniques destinés aux petites filles de 3 ans à 12 ans. J'ai eu un coup de cœur pour une robe splendide : bleue ciel, parsemée de coquelicots avec un petit col blanc. Une robe toute faite exprès pour mon Adriana. Elle avait à cette époque 3 ou 4 ans. Je l'imaginais déjà vêtue de cette magnifique petite robe, j'avais hâte de rentrer chez moi et de lui proposer de l’essayer tout de suite. Elle était merveilleuse dans cette petite robe.
Le week-end qui suivait nous permettait de recevoir des amis et des gens de la famille d'Allemagne. Nous les invitions à visiter le musée de BEAUBOURG, précédé d'une belle réputation outre-Rhin.
Alors nous voici tous ensemble à BEAUBOURG. C'est un beau dimanche après-midi. Au début du mois de septembre. Le soleil est encore généreux. Adriana est habillée de sa petite robe bleue aux coquelicots d'un rouge éclatant et son petit col blanc. Elle est belle à couper le souffle.
Nous cheminons au travers différentes salles présentant des œuvres plus ou moins convaincantes. En tout cas les allemands sont aux anges. Nous voici arrivés dans une salle à la surface relativement réduite, peut être 50 M2, manifestement en restauration. Au fond à droite un échafaudage. Un gars repeint consciencieusement de blanc, le mur dans la largeur de la salle. Devant nous un groupe de touristes, commente, fasciné une œuvre moderne, à savoir : un pieu en bois planté dans le mur sur lequel est accroché un pot de peinture blanche, en dessous, le nom de l’œuvre et son auteur. Des noms exotiques, dont je ne me souviens plus.
Adriana court en riant au travers des rayons de soleil parsemés de poudre d'or. Elle transpire un peu, elle a les joues rouges, ses cheveux noirs frôlant dans sa course folle le petit col blanc. Les coquelicots tiennent le coup. Le bleu de sa robe est le bleu du ciel de cette fin de journée. Elle est belle ma fille. Elle rit, court à perdre haleine, s'arrête émerveillée, je ne sais de quoi, mais ça la subjugue, puis elle repart, sourit à qui veut saisir son sourire. Un vrai chef d’œuvre. De nouveau, elle court en riant et veut attraper les pépites d'or flottant sur un rayon de soleil ardent. Les touristes commentent encore l’œuvre exposée, le pot de peinture blanche d'un réalisme saisissant. Et là, je me frotte les mains, car j'ai aperçu le peintre en bâtiment descendre de son échafaudage et se diriger nonchalamment vers le pot de peinture. Il s'excuse auprès des touristes, acteurs d'une scène insolite et réjouissante, décroche le pot de peinture et retourne à son échafaudage. Adriana, chef d’œuvre absolu, court en riant après les pépites d'or, poussière étincelante suspendue aux traits du soleil, et les touristes, amateurs d'art moderne, confus, se dispersent tête basse en toussotant.
J'attrape Adriana, qui se débat comme un chat sauvage surpris, je l'embrasse en la remerciant.
Le mystère de l'art. Tout est possible pourvu que l'on soit sincère.
Même les touristes, pris en flagrant délit de manipulation passive, ont bien le droit de céder à de telle directive, venue d'une autorité inconnue, alors qu'ils nourrissent confusément un doute en eux-mêmes. Collectivement, et d'autorité, telle chose est perçue comme une œuvre d'art. Alors, bien que cherchant à comprendre, l'amateur d'art souscrit à la croyance selon laquelle, il s’agit bien là d'une œuvre d'art. Mais en tout état de cause, cela au prix du renoncement de leur sensibilité profonde. S'il s’interrogeait en conscience, cet amateur d'art revendiquerait librement son goût, même si celui-ci s'écarterait de la ligne toute tracée des préférences collectives et ceci toute perspective spéculative mise à part.
L’œuvre d'art implique, pour en faire l'expérience, d'être en vérité, fidèle à soi-même.
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